mardi 31 mars 2009

Le Titanic ne peut pas couler.


L'histoire que tout le monde connait :
Le Titanic disparut dans les flots de l’Atlantique dans la nuit du 14 au 15 avril 1912. Entraînant la mort de 1500 passagers sur les 2201.Parti de Southampton à destination de NY , le Titanic dont s’était le voyage inaugural, était à l’époque le plus grand et le plus luxueux des navires.Le cloisonnement de sa coque en 16 compartiments étanches , qui mettait le navire à l’abri de toute voie d’eau, voire de tout torpillage, lui valait au surplus, la réputation d’être incoulable .
Mais il se passa que le 14 avril vers 23h40, le Titanic heurta un iceberg , conséquence fâcheuse d’une tentative pour éviter l’obstacle au dernier moment en faisant donner la barre à babord toute, vint à déchirer la coque du bâtiment sur toute la longueur de son flanc droit, au lieu de n’endommager que l’étrave : permettant ainsi à l’eau – la déchirure intervenant en dessous de la ligne de flottaison- de pénétrer dans chacun des 16 compartiments étanches.
Blessure mortelle qui ne pouvait manquer de conduire à l’immersion complète du navire :ce qui fut chose faite deux heures et demi e plus tard.
La panique fut assez longue à s’installer compte tenu du sentiment de sécurité qui prévalait. Au fur et à mesure que l’eau pénétrait dans la coque, puis dans les cabines, une rumeur s’imposait , de plus en plus tenace dans l’esprit des passagers : le Titanic ne coulera pas , le Titanic ne peut couler.

Pourquoi cette croyance, cette assurance ?
Parce que le Titanic possède 16 compartiments étanches qui le rendent invulnérables , parce qu’il a été construit par les chantiers Harland & Wolf de Belfast, qui sont les meilleurs du monde . Incoulable parce que c’est un navire anglais, et qu’il y a à bord le Révérend Carter, lequel quelques heurs plus tôt a donné à bord un petit concert spirituel à l’issue duquel il a invité son auditoire au recueillement et à une courte prière à l’intention de tous les voyageurs ;aussi l’orchestre du bord fut il requis de ne pas interrompre son programme et continua à égrener valse et polkas
D’ou aussi une désaffection à l’égard des canots de sauvetage qu’en un premier temps on abandonna, plus qu’à moitié vides aux quelques esprits inquiets que l’incident avait affolés.Canots vers lesquels on se pressa très en désordre et beaucoup plus tard lorsqu’à la forte gîte du vaisseau déjà partiellement englouti sous les flots, il fut devenu évident , malgré les 16 compartiments étanches que quelque chose n’allait pas.
Effet de brusque revirement de climat, on ordonna aux musiciens , dont les pieds s baignaient dans l’eau salée d’interrompre leur concert pour entonner des cantiques.

Pareille mésaventure est certes d’abord regrettable , émouvante et tragique. Mais elle est aussi considérée sous un certain angle, une histoire dont la puissance comique peut paraître assez violente.Comique qui se manifeste à plusieurs niveaux:
- Au niveau des responsabilités humaines : celles ci non négligeables , semble t-il pour ne songer qu’à l’ordre étrange donné aux machines d’aller au maximum de vitesse à la rencontre des icebergs dont plusieurs messages alarmistes avaient déjà signalé la présence dans ces parages. Plus singulière encore la quiétude morale qui permit à son auteur , le commandant Smith, d’aller , sitôt l’ordre donné , chercher dans sa cabine un repos bien gagné , qu’interrompit seulement vers 23h40 , le choc fatal. On appréciera également le fait que les vigies , chargées en cette nui t de redoubler d’attention et de donner l’alerte au premier iceberg ,mais privées, à la suite paraît-il d’un retard de livraison, des instruments optiques adéquats,se soient acquittés de leur mission de manière irréprochable en signalant la présence de l’iceberg aussitôt après que celui ci eut enfoncé le navire : technique de l’avertissement après coup dont l’effet comique est inusable.
- Le fait de l’engloutissement possède en lui même une vertu comique,selon une telle perspective : extermination sans restes,disparition que ne compense aucune apparition , pure et simple cessation d’être.

Enfin j'ajouterai l'incapacité d'imaginer le mécanisme de destruction des instruments de l'empire d'une époque.
Le Titanic ne pouvait pas couler comme les Twin Towers ne pouvaient être détruites ou aujourd'hui les banques se faire nationaliser. Les croyances humaines font le ciment d'une époque et génèrent les raisons et déraisons de faire, décider , espérer..
Les objets eux sont tout autres , quand on invente un navire, on invente simultanément le naufrage.
D'après Clément Rosset dans Logique du Pire.PUfF 2008